CECILE SERRES

 

J’arrive par devant. De loin s’élève un grand papillon soutenant une immense impression de fenêtre ouverte sur un ciel bleu-rose-mance. Le papillon, à la forme pop-stéréotypique, est fabriqué avec ce qui semble être de grandes tiges jaunes, translucides et fluorescentes. Bâtons de colle à snifer, entrelacés et soudés mystérieusement, flottent gaiement dans le palais. Je tombe sur Vincent, allongé en croix par terre. Son corps bleu nuit, aux tâches roses, cousu. Ses yeux sont fixes, et son sourire calme inébranlable. Il reste là, près du rebord de la fenêtre modélisée, plongé dans son absence. Vincent s’est pris les pieds dans les câbles électriques, recouverts d’une substance molle et catalysée, jaune fluo — elle aussi. Un coup du papillon, à coup sûr. Il a laissé tombé son MP3. Deux bonnets de bain sur têtes culbutantes y sont reliés : je m’approche. La piscine dans laquelle ils ont été utilisés doit contenir une substance visqueuse et couvrante. Entre marée noire et jus de papillon, marbrée noiraude et golden. Les gouttes elles aussi ont figé, je touche du doigt. C’est sec et mou. Des deux mains je retire le bonnet de son embout et l’enfile. Dessous, je surprends une conversation pédée métallisée ; « le mec » « putain » « main au cul » « comme on essayerait un avocat bien mûr dans un supermarché, t’as vu » « m’a planté là » « putain ». Je regarde l’autre bonnet. Sans savoir ce qui s’y trame et si nous pourrions surprendre à plusieurs la plaignante. Elle n’en finit pas. Je décide d’abandonner là, comme le mec du date. Accroupis mes yeux tombent sur la fin d’une ampoule rectale, et remontent le long d’un colon un peu déployé, en tout cas moins contracté que dans son contenant originel. L’intestin géant transparent est gonflé, maculé de l’intérieur de tâches jaunes et bleues. Elles sont éparses, et se répartissent les unes après les autres, comme si on y était revenu à plusieurs fois. Un cul bien taffé, bien défoncé, je pense. Perdu dans ces considérations, je me rends compte à rebours que je suis debout de l’autre côté de la fenêtre. Dans le ciel. Le papillon soutient le dégradé tendre et s’élève toujours avec la même légèreté et allégresse. Temps soyeux. Je continue mon tour en zigzaguant au rythme des intestins. Un mobile qui semble être le reste d’un scooter, démembré de ses roues et recouvert de multiples peaux métallisées re—cousues les unes aux autres. Il y a un coquillage fermé, mauve, avec un petit trou, posé sur le guidon. Sur la selle, je reconnais les peaux mortes bleue-nuit de Kévin. On voit encore les traces liquides de son corps sur l’assise et sur le coquillage. Le derme est déposé en tas. Je ferme les paupières et le vois. Lui, sur la selle, en amazone. S’arrachant méticuleusement à lui-même, sa peau décollée, sa peau brulée, sa peau morte. Ne s’épuisant pas dans cette tâche infinie, répétitive. Sous le derme craqué, la peau mate et sombre — magnifique — se déploie. Je reviens au lieu. Je sais où Vincent laisse son téléphone, j’attrape l’engin, fais glisser le pouce sur l’écran qui ne demande pas de code et ouvre son application Grinder. Le profil resté passif s’active. Je regarde ses photos. Il n’en a mis q’une, peau bleue, tâches roses, toujours son beau sourire et ses yeux doux. Rien à draguer à l’horizon, pas de messages, je remets le téléphone dans sa cachette avant de me faire gauler. Je me retourne. Vincent est toujours allongé. Immobile 4ever.

Immobile 4ever